Petite révolution hormonale : pourquoi la grossesse bouleverse le sucre dans le sang ?

La grossesse n’est pas qu’un miracle de la nature : c’est aussi une véritable révolution biologique orchestrée par une danse d’hormones. Dès le début, le corps d’une femme passe en mode « adaptation » pour accueillir un futur bébé. Ce bouleversement hormonal permet la croissance et la survie du fœtus, mais a aussi des conséquences parfois inattendues. L’une d’elles ? La hausse notable du risque de diabète gestationnel, une forme de diabète qui se déclare en cours de grossesse.

Le diabète gestationnel touche environ 10 à 15 % des femmes enceintes en France (source : HAS), un chiffre en constante augmentation. Mais que se passe-t-il, concrètement, pour que le corps, bien préparé à nourrir deux êtres, se mette soudain à mal gérer le glucose ? La réponse est principalement hormonale.

Panorama des hormones clés en jeu pendant la grossesse

Grossesse rime avec montée en puissance de plusieurs hormones, chacune ayant un rôle bien défini mais aussi des effets croisés sur le métabolisme du sucre. Quelques-unes méritent une attention particulière :

  • HCG (Gonadotrophine chorionique humaine) : soutient le début de la grossesse, mais impact métabolique minime sur le glucose.
  • Progestérone : stabilise la muqueuse utérine, mais ralentit aussi la vidange gastrique et diminue la sensibilité à l’insuline.
  • Oestrogènes : soutiennent le développement du fœtus et majorent la production d’insuline, mais jusqu’à une certaine limite.
  • Lactogène placentaire humain (hPL) : star discrète mais puissante, cette hormone augmente au fil de la grossesse et réduit considérablement la sensibilité à l’insuline de la mère, pour que plus de glucose soit disponible pour le bébé.
  • Cortisol et hormones de croissance placentaires : accentuent la résistance à l’insuline, spécialement au 3e trimestre.

Le grand bouleversement : comment la résistance à l’insuline s’installe ?

Le mot-clé, ici, c’est la résistance à l’insuline. À partir de la seconde moitié de la grossesse, sous l’action du hPL et d’autres hormones, le corps devient de moins en moins réceptif à l’insuline. Cette hormone, produite par le pancréas, est essentielle pour faire entrer le sucre (glucose) dans les cellules et ainsi fournir de l’énergie.

Naturellement, le corps de la future maman va alors essayer de « compenser » : le pancréas augmente sa production d’insuline, parfois jusqu’à deux ou trois fois plus qu’en dehors de la grossesse (source : Fédération Française des Diabétiques). Si la compensation est suffisante, la glycémie reste normale. Mais chez certaines femmes, les cellules du pancréas fatiguent : elles peinent à suivre la demande accrue. C’est là que le diabète gestationnel apparaît.

Il ne s’agit donc pas d’un défaut de comportement, mais davantage d’un déséquilibre hormonal poussé à l’extrême par la grossesse.

Cas concrets : pourquoi certaines femmes y échappent… et d’autres pas ?

Face à une grossesse, toutes les femmes connaissent cette cascade hormonale. Alors pourquoi certaines développeront-elles un diabète gestationnel, et d’autres non ? Plusieurs éléments entrent en jeu :

  • Prédisposition génétique : avoir dans sa famille des cas de diabète de type 2 augmente le risque.
  • Âge maternel : le risque augmente avec l’âge (notamment après 35 ans).
  • Surpoids ou obésité : les tissus y sont déjà moins sensibles à l’insuline.
  • Origines ethniques : certaines populations sont plus à risque (par exemple, femmes originaires d’Asie du Sud, du Maghreb, des Antilles…).
  • Facteurs hormonaux préexistants : syndrome des ovaires polykystiques, antécédents de diabète gestationnel, etc.

Concrètement, une femme jeune, non porteuse de facteurs de risque, pourra tout à fait traverser ces orages hormonaux sans développer de diabète gestationnel. À l’inverse, une femme ayant déjà une certaine résistance à l’insuline – même évocatrice – verra sa capacité de compensation dépassée par le « tsunami » hormonal de la grossesse.

Ce que la recherche nous apprend sur les mécanismes hormonaux du diabète gestationnel

Les études ont permis d’affiner nos connaissances, et de mettre en évidence l’importance du placenta et de ses hormones. Par exemple, le lactogène placentaire humain (hPL) voit son taux multiplier par 1000 de la douzième à la trente-sixième semaine de grossesse (source : Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français).

Voici ce que le hPL (mais aussi le cortisol et d’autres hormones) provoque :

  • Il bloque certaines actions de l’insuline sur les muscles et le tissu adipeux maternels.
  • Il augmente la libération de glucose dans le sang, pour que le fœtus en récupère un maximum via le placenta.
  • Il provoque un état d’« insulinorésistance » que l’on compare, par certains aspects, à celui du diabète de type 2 – mais qui, ici, est physiologique… du moins jusqu’à un certain seuil.

Des dosages hormonaux sur femmes enceintes, associés à des dosages d’insuline et de glycémie, ont ainsi montré que le 3e trimestre correspondait généralement à la période la plus critique pour le développement d’un diabète gestationnel.

Diabète gestationnel : comment savoir si on est concernée ?

En France, un dépistage ciblé est proposé entre la 24e et la 28e semaine de grossesse chez les femmes présentant au moins un facteur de risque (source : Ameli.fr).

Ce dépistage repose sur une analyse sanguine (glycémie à jeun ou test HGPO). En cas de résultats élevés, un suivi renforcé est immédiatement mis en place.

Le dépistage systématique – chez toutes les femmes enceintes – n’est pas encore la règle en France, malgré l’augmentation du nombre de cas, mais il demeure la norme dans certains pays comme le Canada ou les États-Unis.

Conséquences pour la mère et l’enfant : pourquoi faut-il agir ?

Le diabète gestationnel (DG) n’est pas une fatalité, mais il nécessite une prise en charge adaptée. Un DG non maîtrisé expose à plusieurs risques :

  • Pour la mère : plus de risque d’accouchement par césarienne, d’hypertension gravidique, et de développer un diabète de type 2 plus tard (environ 50 % des femmes ayant eu un DG développent un diabète de type 2 dans les 10 ans, source : Fédération Française des Diabétiques).
  • Pour l’enfant : risque d’hypoglycémie néonatale, de macrosomie (poids > 4 kg à la naissance), et, parfois, de futur surpoids ou diabète de type 2.

C’est pourquoi repérer le DG et comprendre ses causes hormonales permet de mieux l’anticiper et de réduire ses conséquences.

Comment minimiser l’impact du tsunami hormonal ?

On ne peut pas contrôler l’ouragan hormonal de la grossesse… mais on peut limiter ses conséquences. Les recommandations sont à la fois alimentaires, hygiéno-diététiques et médicales :

  1. Diversifier et adapter son alimentation : Fractionner les repas, privilégier les glucides complexes (pain complet, légumes secs), limiter les sucres rapides. Selon une étude du British Journal of Nutrition (2021), la simple adoption d’aliments à index glycémique bas réduit le risque de DG de 30 %.
  2. Maintenir une activité physique adaptée : Même de la marche quotidienne diminue la résistance à l’insuline.
  3. Surveiller la prise de poids : Une prise de poids raisonnable et individualisée limite le risque de DG.
  4. Respecter le suivi médical : Ne pas négliger les dépistages, suivre les conseils si un DG est avéré, et ne pas hésiter à demander à rencontrer un(e) diététicien(ne) ou un(e) éducateur(rice) en diabétologie.

Le but n’est pas le contrôle total, mais l’adaptation avec bienveillance et information.

Des avancées en perspective et une invitation à s’informer

Les progrès de la recherche améliorent chaque année la compréhension des mécanismes hormonaux à l’œuvre lors de la grossesse. De nouvelles pistes sont explorées : rôle de la flore intestinale, impact du microbiote sur les réponses hormonales, influence des perturbateurs endocriniens… Les réponses d’aujourd’hui sont déjà plus éclairantes qu’il y a dix ans, et celles de demain promettent des approches de prévention de plus en plus personnalisées.

Tout le monde ne développera pas un diabète gestationnel, même si les hormones « s’en mêlent » à chaque grossesse ! Mais la connaissance de ses mécanismes permet de déculpabiliser, d’agir tôt et, surtout, d’adapter le suivi à chaque situation. Pour celles qui vivent ou accompagneront cette étape, n’hésitez pas à vous entourer, à poser toutes vos questions et à chercher l’information auprès de ressources fiables (HAS, Fédération Française des Diabétiques, Ameli.fr, Collège National des Gynécologues et Obstétriciens…).

Finalement, comprendre la puissance des hormones pendant la grossesse, c’est aussi mieux se préparer à accueillir ce grand changement, en préservant au mieux la santé de la mère et du futur bébé.

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