Le pancréas : chef d’orchestre du sucre dans le sang

Situé derrière l’estomac, le pancréas est un organe de moins de 100 g chez l’adulte, mais son rôle excède largement sa taille. Il assure principalement deux fonctions :

  • Sécrétion d’enzymes digestives (fonction exocrine) pour l’absorption des nutriments
  • Régulation du taux de sucre dans le sang via la production d’hormones (fonction endocrine), notamment l’insuline et le glucagon

C’est la partie endocrine, répartie dans les îlots de Langerhans (environ 1 à 2 % de la masse pancréatique), qui nous intéresse ici. Ces petits amas de cellules contiennent :

  • Cellules β (bêta), productrices d’insuline, chargée d’abaisser la glycémie
  • Cellules α (alpha), productrices de glucagon, qui la relèvent si besoin

L’insuline agit en quelque sorte comme une clé ouvrant la porte des cellules, pour y faire entrer le glucose circulant. Cette mécanique est à la base de l’équilibre glycémique… mais que se passe-t-il quand elle se dérègle ?

Diabète : deux maladies bien différentes pour un même symptôme

Le diabète n’est pas une seule maladie, mais un ensemble de déséquilibres aboutissant à une élévation chronique de la glycémie. On distingue principalement :

  • Le diabète de type 1 : maladie auto-immune, apparaissant surtout chez les enfants et jeunes adultes (10 % des cas, source : Fédération Française des Diabétiques), où le pancréas ne produit presque plus d’insuline [1].
  • Le diabète de type 2 : davantage lié à l’âge, aux antécédents familiaux et au mode de vie (près de 90 % des cas dans le monde, source : OMS), où l’insuline devient inefficace (insulinorésistance) puis, à long terme, le pancréas s’épuise [2].

Dans les deux cas, on observe un même point d’arrivée : le pancréas ne remplit plus sa mission correctement. Mais les mécanismes en jeu sont radicalement différents.

Pourquoi le pancréas « lâche »-t-il dans le diabète de type 1 ?

L’attaque des cellules bêta : un processus auto-immun

Dans le diabète de type 1, la perte de la fonction pancréatique est d’origine auto-immune. Le système immunitaire, chargé de défendre l’organisme, s’emballe et « prend pour cible » les cellules bêta, croyant à tort qu’elles sont dangereuses.

  • Ce phénomène est progressif : il peut démarrer des années avant les premiers symptômes apparents.
  • À ce stade, 80 à 90 % des cellules productrices d’insuline sont déjà détruites ([3] Diabetologia, 2009).
  • Parmi les marqueurs visibles : la présence dans le sang d’auto-anticorps spécifiques, détectés parfois avant la maladie.

Pourquoi ce dérèglement ?

  • Facteurs génétiques : certains gènes favorisent la susceptibilité à ces attaques (HLA-DR3/DR4 entre autres). Avoir un parent de premier degré atteint augmente le risque, bien que la majorité des nouveaux cas n’aient pas d’antécédents familiaux directs.
  • Facteurs environnementaux : virus (par exemple entérovirus), alimentation infantile trop précoce en protéines de lait de vache, ou encore stress importants pourraient « déclencher » la réaction immunitaire chez des individus prédisposés (source : Inserm, dossier diabète).

Une fois la majeure partie des cellules détruites, le pancréas ne peut plus assurer la production d’insuline de façon suffisante, menant à l’hyperglycémie chronique.

Pourquoi le pancréas ne suit plus dans le diabète de type 2 ?

L’insulinorésistance : les cellules font la sourde oreille

Dans le diabète de type 2, à la différence du type 1, l’insuline est bien présente au départ, parfois même en excès. Mais les cellules, en particulier celles du foie, des muscles et du tissu adipeux, deviennent progressivement « résistantes » à son action. C’est comme si la clé (l’insuline) tournait dans la serrure sans ouvrir la porte.

  • Cette résistance implique que le pancréas doit surproduire de l’insuline pour obtenir le même effet.
  • Sur plusieurs années voire décennies, la demande permanente d’insuline épuise les cellules bêta, qui finissent par ne plus suffire, puis par « démissionner ».

Pourquoi cette résistance s’installe-t-elle ?

  • Surcharge pondérale : le tissu adipeux (notamment abdominal) relâche des molécules pro-inflammatoires qui entravent l’action de l’insuline (NEJM, 2011).
  • Sédentarité : moins de muscles sollicités, moins de glucose « brûlé ».
  • Facteurs héréditaires : plusieurs dizaines de gènes modifient le risque (Nature, 2015).
  • Vieillissement : il s’accompagne naturellement d’une diminution de la « sensibilité » cellulaire à l’insuline.
  • Certains médicaments (corticoïdes, antipsychotiques) et pathologies peuvent également perturber l’action du pancréas.

À ce stade, la production d’insuline peut s’effondrer jusqu’à perdre 50 % de ses capacités après seulement 10 à 15 ans d’évolution non traitée (Diapedia).

Des situations plus rares, mais à connaître : pancréas fatigué hors diabète « classique »

  • Diabète secondaire, par exemple après une pancréatite chronique (inflammation durable du pancréas, souvent liée à l’alcool ou à des maladies génétiques) : la destruction du tissu pancréatique altère à la fois les fonctions endocrine et exocrine.
  • Tumeurs pancréatiques : certaines lésions touchant spécifiquement les cellules bêta peuvent entraîner un diabète difficile à équilibrer.
  • Affections hormonales : pathologies surrénaliennes ou thyroïdiennes déséquilibrées ont un retentissement direct sur la glycémie et la charge de travail du pancréas.

Même si elles sont plus rares, ces pathologies rappellent que le pancréas est une victime collatérale de nombreux bouleversements internes comme externes.

Des anecdotes scientifiques qui éclairent la subtilité du pancréas

  • Le diabète, du grec ancien « diabainein » (passer à travers), fait référence à la perte d’eau massive observée chez les premiers patients, avant même d’identifier l’hormone manquante.
  • Les transplantations d’îlots de Langerhans, encore rares et réservées à des cas particuliers en France, ont permis de restaurer une production naturelle d’insuline chez certains patients (HAS).
  • Les premiers traitements par insuline, extraits de pancréas de bœuf ou de porc dans les années 1920, ont marqué une révolution, multipliant par 20 l’espérance de vie des enfants atteints à l’époque.

Comment agir sur la santé du pancréas au quotidien ?

Même si la part de génétique et d’imprévus reste importante dans l’apparition des désordres pancréatiques, des leviers existent pour en prendre soin, en particulier dans le diabète de type 2 ou en prévention.

  • Limiter l’excès de sucres rapides et de graisses saturées : cela permet d’éviter de sursolliciter le pancréas et de protéger les cellules bêta.
  • Privilégier une alimentation riche en fibres et en antioxydants : légumes, céréales complètes, fruits, légumineuses, qui aident à réguler la glycémie et l’inflammation.
  • Entretenir une activité physique régulière : la marche, le vélo, la natation stimulent la sensibilité à l’insuline. Même 30 minutes par jour font la différence (Inserm).
  • Surveiller son poids et son tour de taille : l’accumulation de graisse autour des organes majore l’insulinorésistance.
  • Dépister et traiter précocement les troubles glycémique, notamment si l’on a des antécédents familiaux ou des facteurs de risque (hypertension, surpoids, mode de vie sédentaire…)

Des études ont montré qu’un programme intensif d’hygiène de vie permet, dans les formes précoces de diabète de type 2, de repousser voire d’éviter le passage à l’insulinothérapie (Lancet DiRECT study, 2018).

Et demain ? Réparer le pancréas… ou changer de paradigme ?

Rechercher comment préserver ou restaurer la fonction pancréatique reste un axe essentiel des travaux internationaux. Des pistes telles que la médecine régénérative (thérapies cellulaires, cellules souches), la prévention primaire du diabète auto-immun ou le développement de pancréas artificiels nourrissent l’espoir d’un futur où la maladie se stabiliserait tôt, ou serait mieux prévenue (American Diabetes Association).

Mais aujourd’hui, le meilleur « allié » du pancréas reste encore la combinaison d’une information éclairée, d’une mobilisation précoce et d’une prise en charge ajustée à chaque histoire de vie.

Le pancréas n’a peut-être pas voix au chapitre, mais il murmure en silence. Apprendre à l’écouter, c’est déjà ouvrir la voie à une meilleure maîtrise, individuelle et collective, du diabète.

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